Le Bonheur

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INTRODUCTION :

La plupart des notions philosophiques proviennent des mots du langage courant. Nous croyons savoir ce quils veulent dire, sans être pourtant capables den proposer une définition précise et construite. Habituellement, pour remédier à cette difficulté,nous consultons un dictionnaire. Si cest souvent utile, cela ne suffit pas. Donner la définition philosophique dune notion suppose un travail de questionnement et de réflexion. Il existe plusieurs techniques qui permettent de donner à une notion un sens philosophique.

En voici la liste:

1) lemploi de la notion dans des expressions toutes faites

2) létymologie

3) la recherche des mots dont le sens est proche(=synonymes)

4) la définition particulière dune notion par un philosophe et sa comparaison avec une autre.

5) la maîtrise des concepts techniques liés à la notion

Appliquons cette méthode à la notion du programme : LE BONHEUR

I) L’EMPLOI DE LA NOTION DANS DES EXPRESSIONS USUELLES

Ex :

- porter bonheur à quelqu'un

- par bonheur

- voeux de bonheur

- nager dans le bonheur

- largent ne fait pas le bonheur

- le bonheur de vivre

- la quête du bonheur

Le mot bonheur est-il employé dans le même sens dans ces expressions ? Non, il est tantôt synonyme de chance, tantôt synonyme de plaisir, tantôt synonyme de vie accomplie.

En quoi lusage de ces expressions courantes renvoie-t-il à des expériences et des logiques différentes ?

On se rend compte, assez vite, que le bonheur est soit passivement reçu, soit activement recherché. Dans le premier cas, nous navons rien dautre à faire que dattendre et espérer. Dans le second cas, nous devons réfléchir aux moyens de nous le procurer, si du moins il est possible de construire soi-même son bonheur.
II) LETYMOLOGIE

Le mot bonheur, dérive des deux mots latins : bonum augurum qui se sont lentement déformés en bon oür en ancien français, puis en bonheur. Est de bonne augure quelque chose qui annonce ou présage un événement favorable. Le mot « bonheur » signifie étymologiquement : la chance, le sort heureux. Puis, il prend le sens de :  bien-être, satisfaction, contentement.

De létymologie du mot bonheur on peut dégager deux idées : le bonheur semble relever dune chance extérieure favorable / dans le bonheur est contenue lidée de bien.

On doit alors se poser les deux questions suivantes : le bonheur peut-il faire lobjet dune recherche active / quel (s) bien(s) nous procure(nt) le bonheur ?                                                      

Pour bien répondre à ces deux questions, appuyons-nous sur un petit texte de Voltaire extrait de l’article  « Bien » du Dictionnaire Philosophique qui rappelle la fable dun philosophe grec Crantor.

Tous les hommes, sans exception, désirent être heureux; mais, ils ne saccordent généralement pas sur les biens qui permettent de lobtenir. Certains recherchent exclusivement largent ; dautres le plaisir ; dautres se préoccupent de leur  santé.. Cest pourquoi, Crantor invite dans sa fable : argent, plaisir, santé et vertu à justifier leur prétention à être le bien suprême, capable de satisfaire le désir universel de bonheur. 

Largent rend heureux parce quil permet dacquérir tout ce quun homme peut désirer. Mais, on ne désire jamais que ce quon croit être source de plaisir. Cest, donc, en vue du plaisir quon cherche à avoir de largent. Or, quel plaisir aurions-nous de vivre si nous étions malades ? La santé est donc plus indispensable au bonheur que largent et le plaisir. Cependant, serions-nous heureux, si nous navions pas lestime de nous-mêmes, si nous avions conscience dêtre des misérables ? Doù provient cette estime de soi ? De notre intention dagir toujours bien ou comme le dit le philosophe Kant, de notre bonne volonté.

Ainsi, le bonheur dépend de lestime quon se porte à soi-même et cette estime ne semble dépendre que de nous puisquelle est le résultat dune conduite volontaire à agir aussi bien quil nous est possible. Mais, est-ce à dire quil suffit dêtre vertueux pour être heureux ? Ne faut-il pas reconnaître en tout bonheur humain une certaine part de chance ?

Je crois quon pourrait sestimer assez heureux si nous pouvions réunir ces biens : la santé, la prospérité, une vocation, la reconnaissance sociale, la conscience daimer nos proches et den être aimé, lestime de soi et la culture en soi dun consentement à accepter que le bonheur est aussi quelque chose qui ne dépend pas seulement de mes efforts pour améliorer mon sort ou me perfectionner moralement. Je crois donc que le bonheur nécessite aussi de la sérénité, de la tranquillité et un certain détachement pour les biens qui peuvent, à tout moment, mêtre ôtés par un revers de fortune, de la déveine ou de la poisse. 
III LA RECHERCHE DES MOTS DONT LE SENS EST PROCHE

Etudions la liste suivante : chance, réussite, succès, félicité, bien-être, béatitude, volupté, plaisir, joie, euphorie, ravissement, bénédiction, contentement, satisfaction, extase, sérénité

Trouvez les critères permettant de classer ces différents synonymes du mot bonheur ? Quapprenons-nous sur la notion ?

 1) lextériorité : chance/réussite/succès/bénédiction     

2) la subjectivité : plaisir/volupté/joie/euphorie

3) la stabilité : bien-être/contentement/satisfaction/félicité

4) lextrême du bonheur : sérénité/béatitude/extase/ravissement

 

1) il y a dans le bonheur, une part irréductible dextériorité. Lhomme heureux, cest lhomme favorisé par la chance, par la nature, par Dieu.

2) le bonheur renvoie en moi à ce qui en moi est le moins susceptible dêtre partagé ou communiqué : une expérience subjective difficilement définissable dans les mots du langage.

3) le bonheur, contrairement au plaisir ou à la joie est un état de satisfaction complète et durable de tous nos désirs.

4) le bonheur, dans sa forme extrême, renvoie à la religion et à la philosophie.
IV) LA DEFINITION DE LA NOTION CHEZ DEUX PHILOSOPHES ET LEUR COMPARAISON

Cest, parmi les différentes techniques, celle qui est la plus essentielle et la plus pertinente mais, elle suppose la connaissance de la thèse précise dun auteur sur un problème qui met en jeu la notion.

Pour la notion de bonheur, je prendrai un texte de Pascal, extrait des Pensées et le texte  de la Lettre à Ménécée du philosophe Epicure.

Pascal définit le bonheur comme un état de repos. Quest-ce que cela veut dire ?

Epicure, lui, a cette définition très simple : le bonheur est, pour le corps, une absence de douleur, et, pour la pensée, une absence de trouble.

A) Pascal, Les Pensées.

Selon Pascal, la condition de lhomme sur terre est misérable et il ny a pas dautre remède à cette misère quespérer jouir dun autre état, après notre mort. Cet espoir doit nous conduire à réformer,en profondeur, notre vie en renonçant aux biens illusoires de ce monde qui ne nous satisfont pas  pleinement pour pratiquer les deux préceptes de la vraie religion (la religion catholique pour Pascal) : lamour de Dieu et lamour du prochain. Il y a donc un véritable aveuglement chez tous les hommes qui ne comprennent pas quils se divertissent pour oublier quils ne sont pas et ne seront jamais, sur terre, heureux. Chez Pascal le terme « divertissement » a un sens bien précis : se divertir cest étymologiquement, se détourner . De quoi ? De soi-même pour ne pas penser à la condition qui est celle de tout homme, une condition faite de misères continuelles avec la perspective assurée de mourir.

En définissant le bonheur comme «  un état de repos  » Pascal le conçoit comme la négation de toutes les misères ou plutôt de toutes les limitations de la vie humaine; habité quil est, par la nostalgie dun bonheur perdu à jamais. On peut dire que ce bonheur hante, aussi, toute lhumanité comme nostalgie dun paradis perdu et promesse dune vie éternellement heureuse.

Pascal  semble avoir confondu le mot bonheur avec sa forme extrême qui présuppose vrai ce qui ne peut être quune croyance ou un acte de foi : la béatitude promise par Dieu aux hommes obéissants. Or,ne peut-on pas concevoir un bonheur accessible dans le cadre de lexistence humaine ? Dans laffirmative, que devons-nous faire pour le réaliser ?
B) Épicure, La lettre à Ménécée

Le bonheur est un état de plaisir, qui  consiste pour le corps, à ne pas souffrir et pour lâme, à être sans trouble. Épicure a condensé sa sagesse dans quatre formules qui constituent les quatre ingrédients du bonheur appelés par les épicuriens le tétrapharmakos ou « quadruple remède » 

1°) Dieu nest pas à craindre

2°) la mort nest rien par rapport à nous

3°) le bien est facile à obtenir

4°) le mal est facile à supporter

Quand lâme est sans inquiétude et que le corps néprouve pas de douleur, alors lhomme vit « comme un Dieu parmi les hommes ».

Il faut toutefois préciser la pensée quEpicure a sur le plaisir pour bien comprendre sa conception du bonheur. Epicure distingue le plaisir qui remédie à un manque organique ou psychologique; plaisir qui résulte dun mouvement de réplétion dun vide intérieur (comme par exemple le plaisir de manger ou de boire quand on ressent le vide de la faim ou celui de la soif). Ce type de plaisir est appelé par Epicure : plaisir cinétique (ou en mouvement). A ce type de plaisir, il oppose le plaisir stable qui caractérise létat dun être dont la constitution physique et mentale a atteint son équilibre naturel. Ce type de plaisir, Epicure le nomme: plaisir catastématique  (ou en repos).  Le bonheur consiste en ce plaisir constitutif qui ne perturbe en rien lêtre qui léprouve. Ce plaisir « en repos », qui apaise à la fois lâme et le corps, nest pas incompatible avec la recherche de certains plaisirs cinétiques à savoir : tous ceux qui maintiennent et consolident létat déquilibre propre à lhomme bienheureux.
V) LA MAITRISE DES CONCEPTS TECHNIQUES

Souverain Bien : fin ultime qui doit être poursuivie par lhomme; bien supérieur à tous les autres. Cette notion permet de distinguer entre les biens subalternes et le vrai Bien. Certains biens   sont recherchés non pour eux-mêmes mais parce quils servent à la réalisation dune fin suprême.

Eudémonisme : doctrine morale qui fait du bonheur le « souverain bien » cest à dire le but ultime de la vie. La plupart des philosophes de lantiquité sont eudémonistes bien quils ne mettent pas derrière le concept de bonheur le même sens.

Hédonisme : doctrine qui prend pour principe de la morale, la recherche du plaisir et lévitement de la douleur. On oppose à lhédonisme, lascétisme qui refuse tous les plaisirs que notre corps peut éprouver.
CONCLUSION  :

Si lon pense que le bonheur est  possible sur terre, on peut convenir dune chose : il semble requérir de chacun un effort de réflexion doublé dun effort pour mettre en pratique les règles qui nous semblent les plus ajustées à une vie quon veut soi-même construire. Si, de surcroît, la chance est là tant mieux !

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